La nuit était fraîche et Sac d’os n’était toujours pas rentré de la chasse. Curieusement, ce squelette possédait la faculté manifeste de ne pas faire craquer ses articulations, caractéristique pourtant particulière de ses congénères. Cette faculté attirait à la fois jaloux et curieux, et donc nécessairement des ennuis. Ennuis qui les avaient menés hors de la ville afin d’échapper à leurs assaillants.
Quelques heures plutôt en effet, un nécromancien (probablement mais Ahron avait du mal à les différencier des autres magiciens) avait été intéressé par Sac d’os et avait fortement insisté pour qu’Ahron s’en libère contre une forte somme. Devant un refus obstiné proportionnel au montant de la somme (ce qui est, vous en conviendrez, inhabituel), le nécromancien avait décidé qu’une visite de courtoisie de la part de ses hommes de main en plein cœur de la nuit relevait de la politesse même. C’est donc avec une politesse équivalente qu’Ahron et son fidèle serviteur avaient trucidé quelques lascars avant de fuir. Pardon avant d’effectuer une retraite stratégique.
-- Au secours Maître ! Résonna la voix sans émotions de Sac d’os dans la nuit.
-- C’est reparti. Encore un loup affamé qui prend Sac d’os pour un cadeau de la providence, se résigna Ahron.
Et tout en prononçant ces mots pour lui-même, il se dirigea tranquillement vers l’origine de l’appel au secours. De toute façon les problèmes arriveraient bien assez tôt vu que Sac d’os se dirigeait toujours logiquement vers le camp. C’est ainsi qu’il fut surprit de trouver Sac d’os dans une plaine, entouré d’une dizaine de robustes guerriers et s’escrimant à éviter les coups qu’ils essayaient de lui porter. Ahron fut déstabilisé les quelques secondes nécessaires aux guerriers pour le repérer.
-- C’est lui ! Cria celui qui devait être le chef. Attrapez-le ! Il est tombé dans le piège.
Les guerriers se retournèrent alors prestement vers Ahron qui n’avait préparé aucun sort et dont la seule issue immédiate se trouvait à son coté. C’est son maître Heinrich qui lui avait enseigné l’art du combat. Enfin… comment tenir une épée car ses études de nécromancie lui avait pris tout son temps.
Heureusement, il se tenait à la lisière de la forêt et pouvait donc bénéficier de son couvert. Ce n’est qu’après la mort de deux d’entre eux qu’ils décidèrent de l’encercler. Ahron en avait déjà déduit qu’ils n’étaient pas si expérimentés qu’ils en avaient l’air mais le combat allait tourner à leur avantage.
-- Rends-toi ou meurs ! Lui lança le chef tandis que ses compagnons se rapprochaient dangereusement.
Ahron hésita un moment, se retourna prestement et attaqua à la surprise générale les guerriers qui se trouvaient quelques instants auparavant derrière lui. Il eut le temps d’en trucider un avant d’entendre un « AARGH ! » retentissant suivi d’un gargouillis trépassant. Les guerriers aperçurent alors Sac d’os, armé d’une épée et les yeux rougeoyants dans la nuit, qui se tenait de façon conquérante sur le corps du défunt. Devant cette vision de terreur à la lame ensanglantée, trois des guerriers qui se tenaient au plus près du cadavre détalèrent dans la forêt sombre. Le combat devint alors plus équitable et il aurait été difficile de déterminer un vainqueur, lorsque Ahron trébucha. Il sentait déjà sa fin arriver mais une lame arrêta le coup fatal et une ombre reprit le combat. Le temps qu’il se relève, les deux guerriers gisaient à terre et le dernier qui restait était en déroute. Sac d’os avait perdu son bras gauche dans la bataille mais ce n’était pas la première fois. Ahron s’adressa à la silhouette obscure :
-- Merci de m’avoir sauvé la vie. Je m’appelle Ahron et voici mon fidèle serviteur Sac d’os. Pouvons-nous vous inviter à partager notre campement, nous y serons à l’aise pour discuter ?
-- Je vous remercie de votre proposition. J’accepte avec joie répondit l’étranger avec un accent inconnu de Ahron. Je m’appelle Bayushi Shijuga. Shijuga est mon prénom dit-il en s’inclinant.
-- Ravi de vous connaître M. Bayushi. Mais je propose que l’on se dépêche de rentrer au camp car certains gredins de ma connaissance se sont dirigés vers notre campement et je crains qu’ils ne saccagent tout en guise de représailles déclara Sac d’os.
Mais il trouvèrent leur camp dans l’état où ils l’avaient laissé et pendant que Sac d’os cuisinait, il était « homme à tout faire » lors de sa première vie, Ahron et Shijuga discutèrent :
-- Tu n’es pas d’ici Shijuga, puis-je te demander ce qui t’amène chez nous ? Commença Ahron. Il n’y a pas grand chose d’intéressant mis à part des bandits.
-- Pardonne-moi mais je préfère ne pas te répondre. Il s’agit d’une histoire personnelle et j’erre depuis au hasard. J’ai parcouru bien des kilomètres avant d’arriver ici et je crains de ne pouvoir un jour retourner chez moi.
-- Je comprends. Excuse-moi, mais je n’avais jamais vu quelqu’un se battre comme toi auparavant. Je voulais juste étancher ma curiosité.
-- C’est normal, et je ne t’en tiens pas rigueur. Rencontrer des gens de mon pays est très difficile par ici.
-- Si je puis me permettre, le commerce se développe à une vitesse stupéfiante et je ne pense pas qu’il soit impossible de trouver un bateau en partance pour votre pays s’insinua Sac d’os. Vous venez bien d’Asia, n’est-ce pas ?
-- Effectivement ! Je suis étonné que vous le connaissiez répondit l’intéressé.
-- C’est vrai, où as-tu appris tout ça ? S’étonna Ahron.
-- Dans une brochure de voyage, tout bêtement ! Tenez le repas est prêt. Vous m’en direz des nouvelles…
-- Vous pouvez manger tranquillement, dit Ahron afin de rassurer Shijuga. Si vous avez déjà vu des squelettes, vous aurez remarqué que Sac d’os est nettement plus propre que ses congénères. Je tiens en effet à ce que mes serviteurs s’habillent de manière irréprochable. C’est une manie que je tiens de mon tuteur rajouta t-il en manière de confidence.
Shijuga mangea donc. Non sans arrières pensées, mais le plat du squelette (un lièvre fraîchement chassé) se révélait très bon.
-- Excusez ma suspicion, mais dans mon pays les personnes comme vous ne sont pas les bienvenus. En fait, on les décapite puis on les brûle en espérant que leur réincarnation future sera meilleure…mais vous devenez tout pâle, vous vous sentez bien ?
-- C’est seulement la perspective que vous venez d’évoquer. J’espère ne jamais avoir à me rendre dans votre pays. Vous savez, tous les nécromanciens ne sont pas mauvais.
-- Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de vous faire de mal. J’ai appris beaucoup de choses depuis que j’ai quitté mon pays. Mais au fait, pour quelle raison ces bandits vous pourchassaient ?
-- Sac d’os possède des capacités que l ‘on ne retrouve chez aucun autre squelette et un nécromancien n’a pas apprécié que je refuse son offre d’achat. Il nous a donc envoyé ses sbires. Nous nous rendons à Nékéhara. Vous voulez nous accompagner ?
-- Pourquoi pas ? De toute façon je n’ai pas de destination précise.
-- Très bien. Nous partirons donc demain pour la ville de Nékéhara. Vous pouvez dormir tranquille, Sac d’os prend la garde de nuit et je jette un sort d’alerte autour du campement. Et ce faisant, Ahron ferma les yeux, se concentra et fit un rapide geste de la main. C’est fait, nous pouvons dormir tranquillement.
Nékéhara la sombre, Nékéhara la redoutée. On lui donne beaucoup de noms, plus sinistres les uns que les autres, mais elle reste la ville réputée pour son Académie de magie nécromantique. C’est pour cette raison qu’elle a été choisie par Ahron afin qu’il poursuive son apprentissage. Sac d’os fut ravi de trouver des compatriotes auxquels parler mais il dut abandonner tout espoir de conversation intellectuelle au vu de la simplicité de penser de ceux-ci. Et pendant que Ahron étudiait la nécromancie, Shijuga jouait les gardes du corps. Il était hors de question que Sac d’os reste tout seul(ils avaient eu assez de problèmes comme ça), alors il accompagnait Ahron.
Deux mois passèrent et Ahron lia connaissance avec une singulière elfe qui s’appelait Kay. En effet, bien que très douée, la fille ne vouait pas un intérêt particulier pour la nécromancie. D’ailleurs, elle s’était retrouvée à l’Académie à la suite d’une « erreur Administrative ». Elle lui avait expliqué que l’Académie où elle avait étudié auparavant la sorcellerie, avait passé un accord avec celle de Nékéhara. Elles devaient s’envoyer périodiquement des élèves et un employé administratif avait commis une erreur.
Cela dura encore une année jusqu'à ce qu’ils décident de faire autre chose. Kay avait rejoint le groupe et n’arrivait pas, dans quelque discipline que ce soit, à dépasser le second niveau d’apprentissage. Par contre, elle était douée partout et elle pouvait s’enorgueillir de posséder des compétences martiales, de sorcellerie et de nécromancie. Cette incapacité fut donc l’une des raisons pour lesquelles ils décidèrent de partir à l’aventure. En ces temps de troubles, les compagnies de mercenaires engageaient facilement des nécromanciens car leur capacité à relever les morts déterminait souvent le cour de la bataille.
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